
L’arrestation de la directrice de 7TV, suivie de celle de Babacar Fall, directeur de la rédaction de RFM, ainsi que de deux de ses collaborateurs, a suscité une levée de boucliers venant aussi bien de la corporation des entreprises de presse, de la société civile que de l’opposition.
Depuis sa fuite du pays, dans la nuit du 23 au 24 septembre 2025, le fondateur du groupe Avenir Communication, Madiambal Diagne, aujourd’hui sous le coup d’un mandat d’arrêt international, barre la Une des journaux, cristallise les débats sur les ondes et alimente de nombreuses controverses sur les réseaux sociaux. Alors que son audition devant le tribunal de Versailles, prévue mardi dernier, pour examiner la demande d’extradition formulée par Dakar, a été reportée au 4 novembre, Madiambal Diagne était l’invité, dans la soirée du même jour, d’une émission en direct sur la chaîne 7TV, animée par Maïmouna Ndour Faye, également directrice de la station.
Au cours de cette émission, les gendarmes ont fait irruption dans le studio et ont sommé l’interruption du direct avant d’arrêter Maïmouna Ndour Faye, placée en garde à vue à la gendarmerie de Ouakam. La patronne de la chaîne privée est accusée de l’« atteinte à la sûreté de l’État (article 80 du Code pénal) et atteinte à l’autorité de la justice ». Le lendemain matin, c’est au tour du journaliste Babacar Fall, directeur de la rédaction de RFM, d’être interpellé dans son bureau, menotté puis conduit au commissariat central par les policiers.
Babacar Fall est poursuivi pour « actes de nature à compromettre la sécurité publique, diffusion de fausses nouvelles, recel de malfaiteurs, actes de nature à jeter le discrédit sur les décisions judiciaires et complicité ». Il avait invité Madiambal Diagne dans son émission RFM Matin. Le journaliste a été arrêté en même temps que Cheikh Tidiane Diagne, journaliste sportif, et Abdou Thiam, technicien, accusés d’avoir filmé l’interpellation de leur directeur. Ces deux derniers ont été libérés hier.
Dans la foulée, les autorités ont procédé à la coupure sur TNT des signaux de TFM, appartenant au Groupe Futur Média qui édite aussi la RFM et de la chaîne 7TV.
À la suite de ces arrestations et coupure de signaux, intervenues à moins de 24 heures d’intervalle, les réactions n’ont pas tardé à fuser.
Le Syndicat des Professionnels de l’Information et de la Communication du Sénégal (SYNPICS) a exprimé, dans un communiqué, « sa vive préoccupation à la suite de deux interventions survenues dans des rédactions sénégalaises, dans des circonstances qui interpellent la conscience démocratique et appellent à une clarification rigoureuse ». Le SYNPICS a rappelé que la liberté d’expression et de presse est consacrée par la Constitution du Sénégal et consolidée par les instruments internationaux ratifiés par l’État.
« Le mandat d’arrêt international est une mesure judiciaire ciblée dont l’exécution ne saurait porter atteinte aux droits des tiers, sauf disposition expressément prévue par la loi », a souligné le syndicat. Et de poursuivre : « Interroger une personne, même poursuivie, relève du droit à l’information, dès lors que cette démarche ne constitue ni entrave à la justice ni incitation à la violence. »
« Signal désastreux à la communauté internationale »
Le SYNPICS a réaffirmé son attachement au respect scrupuleux des procédures judiciaires et des principes de légalité, piliers de l’État de droit, invitant les autorités compétentes à garantir un environnement propice à l’exercice libre, responsable et sécurisé du métier, à l’abri de toute pression ou confusion.
« Le SYNPICS demeure pleinement mobilisé pour défendre les droits de ses membres, promouvoir une presse éthique et indépendante, et veiller à ce que l’information demeure un droit fondamental — jamais une infraction », conclut le communiqué.
Dans la même veine, la Coordination des Associations de Presse (CAP) a estimé, dans un communiqué, que les arrestations des journalistes Maïmouna Ndour Faye, directrice générale de 7TV, et Babacar Fall, directeur de la rédaction de RFM, ainsi que de leurs techniciens, constituent des « actes d’une extrême gravité et des atteintes inqualifiables à la liberté de la presse ».
La CAP a également fustigé la coupure des signaux de 7TV et de TFM sur la TNT, « sans raison valable et en violation flagrante des procédures légales établies ».
« Ces interpellations et ces coupures de signaux surviennent dans un contexte particulièrement alarmant et paradoxal. Alors que Dakar accueille le Salon International des Médias d’Afrique (SIMA), réunissant des journalistes et acteurs des médias de plus de 23 nationalités, ainsi qu’une forte délégation de Reporters Sans Frontières (RSF) conduite par son secrétaire général, M. Thibaut Bruttin, le pouvoir sénégalais envoie un signal désastreux à la communauté internationale », a ajouté la CAP.
Face à cette situation jugée « intolérable », la CAP a appelé « solennellement toute la presse sénégalaise à faire bloc et à éviter tout discours clivant et clanique pour des intérêts bassement matériels qui n’existent en réalité pas ».
De leur côté, les patrons des entreprises de presse, regroupés au sein du Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal (CDEPS), ont considéré cette « intrusion musclée » dans les locaux des media comme une violation manifeste et inacceptable de la liberté de la presse et du droit fondamental à l’information du public.
Cette opération, « menée sans motif légal », est, selon le CDEPS, « en contradiction avec l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui protègent le droit à l’information et à la libre expression ».
« Le CDEPS réaffirme solennellement que le journalisme n’est pas un délit et que l’État de droit impose le respect absolu de l’indépendance des médias », martèle le communiqué.
Face à la « multiplication des agressions » et des « tentatives de musellement du secteur des médias privés », le CDEPS a appelé les autorités à garantir la protection des journalistes et le respect strict des principes constitutionnels, socle de la démocratie sénégalaise.
Les voix de la société civile se sont également fait entendre. Dans un post sur ses réseaux sociaux, Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal, a rappelé que l’État du Sénégal doit respecter ses obligations internationales en matière de liberté de la presse et privilégier l’autorégulation pour combattre les dérives, notamment en renforçant les pouvoirs et les moyens du CORED. Il a demandé la « libération immédiate » des journalistes et techniciens interpellés.
Une peur de la vérité
Pour sa part, Babacar Ba, du Forum du Justiciable, a qualifié, sur les ondes de la RFM, ces arrestations de « dérives autoritaires ». « Nous assistons à une dictature rampante », a-t-il dénoncé, ajoutant : « Ces arrestations ne font que fragiliser notre démocratie et menacent gravement la liberté de la presse. »
Des réactions fermes ont également émané de l’opposition politique. Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) a jugé que le traitement réservé à M. Babacar Fall et à Mme Ndour Faye est « indigne ». « En ce qui concerne Mme Faye, la violence des images diffusées et l’entrave à l’exercice des droits de la défense, un de ses avocats ayant été empêché de la voir, sont inacceptables et incompatibles avec les principes d’un État de droit », fustige le communiqué. Le parti a exigé leur libération immédiate, dans le respect des procédures et de leur dignité.
Pour sa part, l’Alliance pour la République (APR), parti de l’ancien président Macky Sall, estime que ces opérations s’inscrivent dans une « escalade répressive » contre les media indépendants, déjà confrontés à diverses pressions, parmi lesquelles le harcèlement fiscal, la suppression de la publicité institutionnelle et la rupture de conventions.
Le Secrétariat général de Réew Mi, formation politique dirigée par l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, a condamné « fermement ces atteintes à la liberté d’expression et au libre exercice du métier de journaliste », demandant la libération des journalistes ainsi que la levée de toute mesure de restriction visant 7TV et TFM.
De son côté, Barthélémy Dias, ancien maire de Dakar, a commenté avec fermeté les arrestations de la directrice de 7TV et du directeur de la rédaction de RFM : « Quand un régime commence à s’en prendre à la presse, c’est qu’il a peur de la vérité. Nous ne laisserons pas le Sénégal devenir un pays où la pensée unique règne. Soutenir ces journalistes, c’est refuser la dictature du silence », a-t-il pesté.Bacary Afandiacoum Badji
